Situé au coeur du Massif de
Saint Elias, on accède au pied du Mont Logan par la voie des airs
(un avion muni de skis peut atterrir sur le glacier Hubbard) ou au terme
de deux semaines d'approche entre moraines et glaciers. Cette région
est l'une des plus froides de la planète, perpétuellement
battue par les tempêtes provenant du détroit de Béring.
L'immense plateau sommital est fréquemment balayé par des
vents violents (plus de 120 km/h) et la température peut descendre
sous les -40°C.
Le Mont Logan fut conquis en 1925 par l'itinéraire de la King Trench. De nos jours, cette voie attire plus de 80% des grimpeurs qui rêvent d'atteindre le plus haut sommet du Canada (5959 m) et deuxième sommet d'Amérique du Nord (après le Denali, ex-Mac Kinley). Il fallut attendre 1959 pour voir une expédition réussir l'ascension de son arête Est, constituée essentiellement de raides passages de neige et de glace. Deux impressionnantes arêtes en lame de rasoir (knife edge ridge), particulièrement engagées, constituent les passages clefs de cette ascension. L'arête Est mènent au sommet Est (5930 m), séparé de la cime principale du Mont Logan (5959 m) par une longue arête de plus de 3 km. Notre équipe était initialement constituée de 4 alpinistes, nombre idéal pour combiner légèreté, rapidité et sécurité. Éric Wintenberger et Javier Gonzalez vivent tous deux à Los Angeles (USA). Nous sommes partis ensemble en Bolivie en 2000 pour gravir de nombreux pics dans la Cordillera Real. Moïse Sutter, mon compagnon de cordée dans les Pyrénées et sur les falaise du sud-ouest de la France, et moi-même (Sébastien Galisson) arrivons de Toulouse. L'éloignement des membres de notre groupe ne nous a pas facilité la tâche pour l'organisation, essentiellement logistique, de ce voyage. Prévoir 25 jours en autonomie complète (nourriture lyophilisée, essence pour les réchauds, pharmacie...) ainsi que tout le matériel pour ce genre d'ascensions (tente haute-altitude, pieux à neige, broches à glace, coinceurs, crampons, piolets traction...). Restait à savoir comment nous allions pouvoir loger tout cet attirail dans nos sacs de 90 litres ! |
![]() Mont Logan
|
9 Mai 2002
Je décolle de Blagnac avec Moïse. Le survol du Groenland et des provinces du Nord du Canada est magnifique : des fjords profonds, des lacs gelés innombrables, une steppe enneigée à perte de vue...
L'arrivée à Whitehorse est surprenante. Plus grande ville
canadienne au nord du 60e parallèle, la capitale du Yukon ne compte
que 20000 âmes, les deux tiers des habitants de cette province (qui
comprend plus de 60000 ours !). Située sur les bords de la rivière
homonyme (encore partiellement gelée en ce début Mai), cette
bourgade semble tout juste se réveiller après une trop longue
hibernation. Il fait frais, loin des températures printanières
de Toulouse. Que dire du choc qui attend nos compagnons en provenance de
Californie ! Nous les attendons le surlendemain de notre arrivée.
10 Mai 2002
Nous faisons rapidement le tour des curiosités de Whitehorse. Point d'orgue, un ancien bateau qui remontait les rapides en amont de la ville (qui lui ont donné son nom), pour rejoindre les concessions des pionniers de la ruée vers l'or. Nous profitons de la journée pour peaufiner les derniers détails de l'expédition. De l'essence pour les réchauds, un peu de nourriture... Nous nous renseignons également sur les possibilités de rejoindre Silver City en transports en commun. Un bus de l'Alaska Highway Line part dimanche 12 Mai à l'aube, à destination de Fairbanks. Nous nous arrêterons en chemin, au bord du lac Kluane. Les topos et cartes du Mont Logan sont rares, nous nous contenterons donc des informations trouvées sur internet. 11 Mai 2002 Le "camp de base" est planté au Beez Kneez, une auberge de jeunesse très accueillante. Routards de tous pays font halte dans ce havre de tranquillité. Japonais, Australiens et autres Danois partagent les lieux lors de leur transhumance dans les terres du Grand Nord. Les maîtres des lieux, Trevor & Dona, font tout pour rendre le séjour agréable : cuisine commune, accès internet... Nous empruntons des vélos pour aller admirer le Mile canyon avant de nous rendre à l'aéroport de Whitehorse pour accueillir nos amis. Première déconvenue, Javier a filé à l'espagnole. Il a déclaré forfait 6h avant de monter dans l'avion avec Éric, à L.A. Celui-ci arrive donc seul. Je crois d'abord à une blague, de mauvais goût. C'est une grosse déception. Javier ne se sentait pas assez fort, techniquement, psychiquement. Dommage pour lui. Et grand chamboulement dans nos plans. Toute la logistique a été prévue pour 4, il nous faut tout repenser. Il y a pire comme catastrophe, mais c'est de mauvais augure pour la suite. |
![]() Topo de la voie |
12 Mai 2002
Henry Stokes passe nous prendre à
6h du matin et nous conduit à Haines Junction. 3h de route pour
nous rapprocher du Mont Logan et nous rendre à l'aérodrome
d'où nous devrions nous envoler pour le glacier Hubbard. Paysages
monotones, mornes forêts, pas une âme qui vive en ces lieux
désolés. Nous empruntons l'Alaska Highway, construite en
toute hâte par l'armée américaine pendant le 2ème
guerre mondiale pour prévenir une attaque de la Russie au Détroit
de Béring. Le passage chez les gardiens du Parc National de Kluane
s'avère être une formalité : droits d'accès
au parc, permis d'atterrissage sur le glacier, informations sur les dangers
liés à la pratique de la montagne dans un milieu hostile...
nous tachons de répondre au mieux. Le garde nous prévient
qu'en cas de problème, les secours se contenteront de venir au Camp
de base, si le temps le permet. Nous devons nous préparer à
réaliser nous-mêmes un éventuel sauvetage en paroi,
sans aide extérieur. Nous sommes bien loin de la montagne "aseptisée"
que nous connaissons chez nous. Cela aussi fait partie de l'expérience
du Mont Logan.
Nous finissons par arriver à Silver City, pleins d'espoir. Avec l'impression que tout finit par bien se goupiller, que nous dormirons peut-être le soir même au pied de l'arête tant convoitée. Nous prenons contact avec Andy Williams, le seul bush-pilot de la région qui assure le transport les alpinistes au coeur du massif. Il s'apprête à décoller avec 2 grimpeurs, direction le Mont Kennedy. Nous sommes les prochains sur la liste. First in, first out. Déjà nous nous agitons, préparons les sacs. Le petit avion ne contient que 3 places, pilote compris. Nous convenons d'un plan de bataille : je partirai en 1er avec Éric, emportant un maximum de matériel et de nourriture. Moïse prendra le vol suivant et nous rejoindra dans la foulée. Déjà, l'excitation nous envahit. C'est sans compter sur les caprices du temps. Nous sommes à quelques dizaines de kilomètres de l'océan pacifique, et la dépression qui coiffe continuellement le Détroit de Béring ne cesse d'envoyer des masses considérables de nuages sur l'Alaska et le Yukon. D'où des conditions épouvantables en montagne : vents violents, températures polaires, fortes & subites chutes de neige, brouillard épais... Il en résulte de courtes fenêtres permettant le survol de la chaîne montagneuse. L'attente durera 8 jours, suffisamment pour apprendre les subtilités de la météo de la région. Nous patientons en bout de piste, dans un camping improvisé sur les berges du lac Kluane. Les différentes expéditions en partance tuent le temps de manière plus ou moins constructive : matchs de football sur la piste en terre de l'aérodrome, lancers de fers à cheval autour de piquets, lecture, ballade... Nous finissons par dépenser notre surcroît d'énergie en escaladant un chalet de bois ! Les échanges sont nombreux entre alpinistes, l'environnement est chaleureux. Nous organisons des BBQ plus ou moins diététiques. Les nord-américains ont la palme avec leurs marshmallows grillés (variation ultime, le "smore" : marshmallow grillé & chocolat fondant, sur son lit de cracker). C'est redoutable, on en veut plus, once more, mais les dents collent... s'more ! 18 personnes finissent par se retrouver en lisse pour l'envol. Quasiment que des Canadiens. Qui trouvent bien surprenant que 3 français viennent jusqu'ici pour user la pointe de leurs crampons. Et pourtant, la plupart d'entre eux est venue à Chamonix pour en faire autant. Comme quoi... Il s'avère que les auteurs du topo que nous avons déniché sur internet sont parmi nous. Jeremy Frimer et Jay Burbee espèrent ouvrir une nouvelle voie en Face Nord du Mont Logan. Nous sympathisons rapidement avec eux. Arrivés les premiers sur le site, nous sommes les prochains à devoir partir. Néanmoins, les aléas de la météo font que 2 groupes nous grillent la politesse et s'envolent vers la voie normale du Mont Logan, où le temps est meilleur qu'au camp de base de l'arête Est. Nous prenons notre mal en patience, devenons presque philosophes. |
|
L'Arctic Institute of Northern America est situé en bord de piste. C'est le quartier général des scientifiques éparpillés dans la région : ils carottent les glaciers pour étudier lévolution climatique. Creusant jusqu'à 250 m de profondeur, ils remontent à plus de 5000 ans.
Silver City s'avère être une ville fantôme, ex-refuge
des pionniers du Klondike, chercheurs d'or de la fin du XIXe. Regrettable
méprise, ce lieu n'avait d'argenté que la couleur du pelage
des renards locaux. Même déconvenue pour nous : pas une épicerie,
pas un bar à se mettre sous la dent ! Les occasions de s'évader
sont rares. Haines Junction, la première ville, est à 60
km. Nous profitons des voitures d'autres grimpeurs pour aller y prendre
l'air et refaire le plein de provisions.