28 Mai 2002
Les dieux ont décidé pour nous : brouillard dense, chutes de neige, vent violent... Nous restons cloîtrés dans notre tente. A larver. Il nous faut régulièrement sortir et affronter la bise pour aller chercher un peu de neige à faire fondre, pour se soulager, pour pelleter tout autour de notre abri afin qu'il ne se fasse ensevelir... Nous passons des heures dans nos duvets -30 (le meilleur ami de l'alpiniste en altitude !). |
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29 Mai 2002
Au petit matin, alternance d'éclaircies et de passages nuageux. Nous nous plions aux conseils des alpinistes habitués des hautes altitudes/latitudes et profitons de la première fenêtre de temps "acceptable" pour tenter le sommet. A priori c'est la journée la moins technique mais la plus "dure" physiquement qui nous attend. Le début est une promenade de santé : nous nous dirigeons sur un immense plateau vers le col situé à 5200m ; il sépare un sommet secondaire (5300m) du Sommet Est du Mont Logan (5930m). Ensuite des pentes qui se redressent progressivement (30 puis 45 degrés) nous mènent à la crête sommitale. On ne se faisait pas vraiment d'illusions sur l'évolution de la météo, un peu menaçante à notre départ. La mer de nuages ne tarde pas à nous rattraper, le temps change radicalement : clémente jusqu'à présent, la température chute brutalement sous les 25°C. Le vent qui souffle violemment renforce encore l'impression de froid. Nous empilons les couches de vêtements techniques pour nous protéger : polaires, gore-tex, moufles en duvet d'oie, cagoule intégrale... Les pieds d'Éric le font souffrir. Il est plus sensible depuis qu'il a eu ses gelures en 1999 sur le glacier des Polonais à l'Aconcagua. Les chaufferettes que nous avons emmenées sont d'un bien maigre secours, encore une arnaque de la société de consommation. Heureusement, il ne nous reste que quelques dizaines de mètres de dénivelée à parcourir. L'ascension semble ne jamais devoir finir : derrière la crête, une bosse, puis une autre, puis un petit plateau... Enfin, le sommet Est se dessine. Nos coeurs palpitent, nos tempes tambourinent, c'est la joie d'être au sommet... et sans doute un effet secondaire de l'altitude. Photos, embrassades. 5930m, record d'altitude pour Moïse : il aura fait son 1er 4000, son 1er 5000, et presque son 1er 6000 en une expé, pas mal. Ça va se payer cher au retour, champaaaaaagne ! Une pensée pour Javier qui aurait aimé être là avec nous. Seule déception, nous sommes en pleins nuages, nous n'y voyons goutte. Nous n'aurons donc pas la chance d'admirer le panorama au Sud (Océan Pacifique, Mont Saint Elias...) ni le plateau sommital qui nous sépare du sommet principal du Mont Logan. |
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Nos traces sont entièrement recouvertes, il nous faut à nouveau trouver l'itinéraire. Moins laborieuse qu'à la montée, la tache est plus stressante, les pentes sont fuyantes, avalancheuses, traîtresses. Nous n'avons pas le droit au moindre faux pas. La descente jusqu'au plateau environnant le Camp Supérieur se passe sans anicroche. Le brouillard est très dense, nous n'y voyons goutte. C'est à tâtons que nous retrouvons la tente (vive le GPS !), havre de paix dans cet univers glace.
Notre joie est intense mais de courte durée : le stress et la fatigue nous submergent, nous tombons immédiatement dans les bras de Morphée. Aaaahhhhh.
30 Mai 2002
Il nous reste à aborder la descente, par le même itinéraire. Nous connaissons les principaux points durs du parcours. Néanmoins, les sacs conséquents, la fatigue, le mauvais temps, le vide sous nos pas, vont rendre cette partie quelque peu épique. Une véritable retraite. Atteindre le Camp 4 s'avère particulièrement compliqué, dans le brouillard, entre séracs, crevasses, à-pics... A 4100m, nous retrouvons les 2 autres expé, bloquées là depuis 4 jours par le mauvais temps. Ils nous félicitent pour le sommet. Nous leur souhaitons bonne chance. Ils en auront besoin. Les fortes chutes de neige ont rendu l'itinéraire très avalancheux, et la descente s'annonce laborieuse. A partir de ce point, plus de problème d'itinéraire pour nous, il "suffit" de suivre l'arête, plein Est. Nous aurons le droit à notre lot de frayeurs. Éric déclenche une plaque en descendant une pente à 55 deg. Plus de peur que de mal. Je m'enfonce jusqu'aux épaules (!!!) dans la neige molle de la pente sous le C1. Nous croyons en avoir fini quand nous atteignons la rimaye. Hélas, en une dizaine de jours, elle s'est complètement ouverte, il nous est impossible de la passer. Pieux a neige, rappel, je m'élance en premier : quelques mètres à descendre, puis le mur devient surplombant. Le sac à dos m'entraîne à la renverse ; le temps que je me débatte, le relais saute et je m'écrase deux mètres plus bas, au fond de la rimaye. Heureusement bouchée à cet endroit. Indemne, je n'ai même pas eu le temps de réaliser ce qui se passait... jusqu'à ce que je voie pieux et corde à mes côtés. Les 2 autres, quelques mètres au-dessus de la lèvre, ont eu une de ces frousses ! Je les rassure. Ils posent un autre relais, en béton celui-la, et passent à leur tour. A priori, c'est la fin de la partie "technique" de la descente. Il ne nous reste plus qu'à rejoindre le Camp de base. On a mis 2h à l'aller. Il nous en faudra plus du double au retour. Le temps pour Éric de rompre un pont de neige et d'aller visiter une crevasse. On loue les inventeurs de la corde. Après 15h d'efforts en cette 2e journée de descente, nous échouons au Camp de base. Des vraies loques. Il est 23h30 en ce 31 Mai. Il nous faut encore nous installer. Un dernier sursaut d'énergie et nous plongeons dans nos duvets. Immense joie, ça y est, l'odyssée est finie. 11 jours pour le tout, 1 de moins que prévu, malgré des conditions désastreuses à partir du Camp 5. Cookies, Chartreuse et Fireball ! Festival ! Nous sombrons rapidement dans un sommeil profond, encore habillés... |
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1 Juin 2002
Au petit jour, des sensations bizarres me réveillent. J'ôte mes chaussettes et réalise l'état de mes pieds. 4 doigts sont superficiellement gelés et le gros orteil droit a vraiment une sale tête. Panique. Éric, fort de ses expériences passées, me rassure. Si nous ne restons pas bloqués ici trop longtemps, tout devrait bien se passer. Je traite rapidement mes plaies avec la crème antibiotique de notre pharmacie et commence à ronger mon frein. Après une fouille approfondie des différentes caches du camp de base, Moïse finit par mettre la main sur la radio laissée à demeure par Andy pour les liaisons quotidiennes le "quartier général" du Lac Kluane. Rodgeur, Rodgeur, nous devenons vite familiers des us et coutumes de la radiophonie ondes courtes.
Le temps est plus que variable et nous nous préparons à faire le pied de grue pour ressortir du massif. Passage au mode hibernation. Notre activité est minimale. Nous profitons de ce calme pour reprendre des forces et admirer le paysage. L'attente est ponctuée par les vacations radio, les parties de cartes, la fonte de la neige... Nous buvons un maximum pour récupérer.
L'avion nous ramenera-t-il à bon port avant le 7 Juin ? Allons-nous rester scotchés ici pendant des semaines ? On nous a parlé d'une expé qui a attendu 26 jours avant de pouvoir s'envoler. On a beau être prévoyants, nous n'avons pas assez de vivres pour tenir aussi longtemps. On ne cesse de penser aux conséquences d'une attente prolongée. J'angoisse à l'idée de perdre quelques phalanges.
Cela fait plus de 3 semaines qu'on mange des repas lyophilisés, qu'on ne se lave pas, qu'on porte plus ou moins les mêmes fringues... Qu'il sera doux de retrouver la civilisation. Il nous tarde de revoir Haines Junction !
3 Juin 2002
Les stations radio des différents
camps (Eclipse, King Cole, Quintino-Sella...) annoncent une amélioration.
Le temps finit par se dégager chez nous. Andy Williams nous annonce
son arrivée dans l'heure qui suit, nous nous mettons frénétiquement
à plier bagages.
L'avion se pose sur le glacier, skis en avant. En se serrant un peu,
nous arrivons à caser tout notre barda à bord. Moïse
se retrouve perché sur les sacs, dos à la marche. De quoi
faire frémir les autorités de l'aviation civile, mais bon...
Le vol est sans surprise cette fois-ci. Pas de turbulence. Nous profitons
pleinement du panorama. Dernières vues des sommets qui nous ont
fait face pendant 3 semaines. La plupart n'est quasiment jamais parcourue.
Tant d'itinéraires restent de (déc)ouvrir. Une nouvelle aire
est en train de s'amorcer avec la génération de Jeremy &
Jay.
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Nous appelons un type qui assure des liaisons avec Whitehorse. Quelle surprise lorsqu'il se pointe à l'aérodrome : nous rentrons dans une limousine digne d'Hollywood, droit au Beez Kneez.. Quel retour à la civilisation ! La première douche est un délice. Un soulagement aussi pour nos camarades de chambre. Il nous reste quelques jours avant le retour. La priorité pour moi est d'aller à l'hôpital. On me rassure sur mon état, je conserverai mes pieds. Quelques semaines de traitement, et il n'y paraîtra plus.
Le bilan est très positif. Ce fut une grande première
pour nous. Nulle autre montagne auparavant ne nous avait demandé
tant d'efforts, d'engagement, en un lieu aussi reculé, par des températures
aussi froides. Une sorte d'aboutissement. Déjà nous pensons
à la suite...
Voir également le site d'Éric : http://www.galcit.caltech.edu/~ericw/expeditions/logan/logan1.html